La phrénologie


La phrénologie (étymologiquement « science de l’âme »), appelée à l’origine cranioscopie, consiste à associer la forme du crâne à des traits de caractère. Fondée par le neurologue Franz Joseph Gall (1757-1828), un médecin autrichien émigré en France, et l’un des meilleurs neuro-anatomistes de son temps, elle postule que le cerveau n’est pas une masse homogène mais un organe doté de zones spécialisées, qui gouvernent les comportements. Dès lors, si un individu est doté de vices ou de vertus, on doit pouvoir leur associer des zones cérébrales hypertrophiées ou hypotrophiées, qui se traduiront par des bosses ou des creux lorsqu’on palpe la tête osseuse (bosse des maths, bosse du commerce etc.). Pour asseoir sa théorie, publiée à Paris en 1810, Gall rassemble un grand nombre d’observations scientifiquement orientées sur trois populations, les gens de talent (toutes sortes de personnages ayant brillé par leur réussite intellectuelle, sociale ou artistique), les aliénés, et les criminels. Il constitue une collection considérable de crânes et de moulages sur le vivant, avec parfois, comme dans son propre cas puisqu’il lègue son corps à sa collection, à la fois le moulage et le crâne. Le corps médical se divise assez vite entre les sceptiques, comme Magendie qui dès 1825 qualifie la phrénologie de pseudo-science, ou Flourens, titulaire de la chaire d'Anatomie et d'Histoire naturelle de l'Homme du Muséum, qui en fait le procès, et les enthousiastes, comme Broussais. L’engouement est tel que les phrénologues sont consultés pour l’orientation professionnelle des enfants. Mais on s’aperçoit que le diagnostic phrénologique n’est pas fiable, que les criminels par exemple n’ont pas souvent la « tête de l’emploi », et en quelques décennies l’œuvre de Gall est abandonnée.

« L’envol des bustes » dans le parcours permanent du Musée de l’Homme.

L’appareil de Dumoutier pour mesurer la tête figure à droite de l’image, avec son buste en plâtre blanc à l’arrière-plan.

(cliché Jean-Christophe Domenech - MNHN)

Toutefois, son impact n’est pas entièrement négatif. Ainsi elle représente la première tentative d’approche anatomo-clinique du cerveau, notamment en psychiatrie ; l’anthropologue Paul Broca, qui n’était pourtant pas phrénologue, pourra démontrer le premier cas de correspondance entre trouble neurologique et lésion corticale avec le cas célèbre d’un aphasique, dont l’autopsie lui montra qu’il avait été victime d’un accident vasculaire localisé dans ce qui ce qui va désormais s’appeler l’aire du langage de Broca. Les travaux ultérieurs établirent de nombreuses autres correspondances entre zones cérébrales et fonctions physiologiques, sans pour autant les relier à des qualités morales au sens où Gall l’affirmait. Le Muséum national d’Histoire naturelle a hérité d’une grande partie des crânes et bustes de la collection Gall, et celle de son élève et successeur Pierre-Marie-Alexandre Dumoutier (1797-1871) qui accompagne Dumont d’Urville dans son voyage dans le Pacifique et rapporte de nombreux témoignages sur les autochtones, déclarant à cette occasion que « c’est au phrénologiste qu’il appartient plus qu’à tout autre peut-être de prouver combien l’organisation cérébrale de ces hommes est supérieure à celle des brutes, au rang desquelles on n’a cessé de les ravaler ». Cet effort de Dumoutier est, comme dans toute démarche anthropologique, motivé par le souci statistique d’élargir à l’ensemble de l’humanité des observations initialement limitées aux Européens. Le moulage rapporté au laboratoire est pour lui, en tant qu’objet grandeur nature en 3D, un matériau de travail bien plus utile que des dessins ou des photographies. Les plus beaux bustes réalisés par Dumoutier et ses confrères sont exposés dans une mise en scène spectaculaire au Musée de l’Homme.

Alain Froment - collections d’anthropologie - Musée de l’Homme - MNHN


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